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Cinéma d'anticipation

Définition du film d’anticipation

1) Définition du film d’anticipation

Le film d’anticipation, objet de cette étude, est une catégorie bien précise, et proche du cinéma de science-fiction qu’il convient de définir. Il s’agit en premier lieu d’une étude au sein de la cinématographie de science-fiction : élaborer une hypothèse de ce que pourrait être le futur. Partons d’abord de l’origine du mot science- fiction afin de mieux comprendre les enjeux qu’il dégage. Il vient du terme anglais « science fiction », et apparaît pour la première fois en 1853 avec William Wilson dans A little earnest book upon a great old subject. Cependant, son usage ne se répand réellement qu’au XXème siècle, avec les romans de l’âge d’or de la science-fiction de Frank Herbert, George Wells, Isaac Asimov, Jules Verne ou encore Ray Bradbury. Le mot « science-fiction » s’est imposé en France face à celui d’anticipation, que je souhaite utiliser ici.

Le genre puise son inspiration dans le réel et les connaissances actuelles pour envisager une société nouvelle ou différente. L’importance de l’avancement de la science et de la technique est une caractéristique considérable de la science-fiction. Le mode de narration de la science-fiction permet de dégager quatre traits majeurs du récit habilitant le lecteur ou spectateur à reconnaître le genre. Edward James et Farah Mendlesohn (The Cambridge Companion to Science Fiction, Cambridge University Press, 2003) ont synthétisé ces caractéristiques :

  • L’expérience de la pensée : le récit commence bien souvent par une question inaugurale : « Que se passe-t-il ? » Cette fiction spéculative présente au lecteur ou spectateur aussi bien la situation des personnages que les idées maîtresses qui bâtissent le genre.
  • La distanciation : nous devons être incertains face à une oeuvre de science- fiction, c’est une perte de repères afin de pénétrer dans un monde inhabituel que nous percevons mal. Une nouvelle société va se représenter dans notre esprit.
  • La compréhension : nous avons à reconstruire ce monde imaginaire à partir des indices donnés par son créateur tels que les spéculations scientifiques ou sociétales de ce nouveau monde.
  • La référence à une culture commune : le vocabulaire et les thèmes de la science- fiction forgent une culture familière et reconnaissable pour créer un lien d’intimité avec le lecteur ou le spectateur.

Le cinéma d’anticipation est fortement lié à celui de la science-fiction car il met lui aussi en jeu les ressorts de la prospection. Le verbe latin « anticipare » signifie prévenir le temps et faire accomplir une chose avant le temps. L’anticipation définit donc l’action de se projeter dans l’avenir et de le devancer. Ce genre met en scène des sociétés dans un futur proche ou hypothétique que nous décrit le cinéaste.

Il convient d’insister ici sur les relations entre science-fiction et anticipation. L’anticipation puise ses racines dans le réel, voire l’actualité pour exister. Ce sont ensuite les spéculations et les imaginations qui permettent de lui donner forme. On imagine donc l’évolution des techniques, de la science, mais aussi de traits caractéristiques de société. C’est ici qu’elle se détache de la science-fiction : la projection dans le futur. La science- fiction se projette également dans l’avenir, cela peut être un de ses traits. Bien au contraire l’anticipation, en raison de sa définition même dépeint toujours le futur. L’exemple de E.T. l’extraterrestre (1982) de Steven Spielberg montre que la science- fiction peut aussi s’ancrer dans sa période actuelle de production. Elliott, un enfant américain, va recueillir un extraterrestre échoué sur terre et s’en occuper pour ensuite lier une forte amitié avec lui. On ne retrouve pas de questionnement sur les années futures. D’autres films grand public qui sont récents, continuent d’explorer cette voie :

  • Independence Day (1996) de Roland Emmerich : la terre est attaquée par des extraterrestres et riposte par les moyens conventionnels de l’armée.
  • Contact (1997) de Robert Zemeckis : une brillante scientifique américaine à la recherche d’intelligence extraterrestre détecte un étrange message venu de la planète Véga. Le décodage permet de construire un véhicule de transport interstellaire avec les connaissances actuelles de l’humanité.

Ces deux films montrent que la science-fiction peut avoir pour scène principale le présent. 1984 (1984) de Michael Radford, qui est une adaptation du roman de George Orwell, illustre parfaitement l’anticipation du futur. Il décrit une société postérieure à une guerre nucléaire qui a divisé le monde en trois parties (« Oceania, Estasia, Eurasia »). « L’Oceania » a instauré un régime totalitaire visant à contrôler la pensée. La liberté d’expression n’existe plus et la population est surveillée pour réprimer les « crimes de la pensée ». Le film nous propose des décors de guerre civile, de rues abandonnées et de ghettoïsation des quartiers poussés à l’extrême. Le spectateur se trouve ainsi face à un référent de la science-fiction décrite quelques lignes plus haut ; c’est un monde différent du nôtre qui est proposé et ce sont les images inhabituelles d’une société à l’agonie que l’on peut observer. G. Orwell exprime parfaitement cette notion de projection dans le futur : « Je ne crois pas que le genre de société que je décris se produira nécessairement mais je crois {…} que quelque chose de semblable pourrait arriver ».

Une autre grande différence entre anticipation et science-fiction est le traitement de la science et de l’innovation technologique. La science-fiction utilise en masse les inventions technologiques pour créer un monde qui nous semble beaucoup plus avancé. On peut voir des voitures voler dans Blade Runner (1982) de Ridley Scott et dans Le Cinquième Elément (1997) de Luc Besson. « Désintégrateur » en main, les portes s’ouvrent automatiquement et l’on peut souvent parler à un ordinateur qui nous répond. Le rôle de ces « gadgets » sert l’histoire et cherche à divertir le spectateur. La science- fiction imagine ces découvertes scientifiques, les met en scène et s’interroge sur leurs conséquences. L’anticipation ne place pas cet ensemble de techniques au coeur de sa narration. Ce n’est pas un facteur bouleversant le récit. Ces trouvailles sont utilisées pour nous aider à saisir les enjeux de la société décrite. Elles sont les conséquences d’une volonté politique. L’exemple de 1984 et des « télécrans » est révélateur, puisque c’est le pouvoir totalitaire en place qui induit l’innovation technologique. Il cherche à surveiller et modeler l’homme aux besoins de la société. Tous ces objets sont des moteurs du récit et cherchent à appuyer l’existence de la société imaginée. Pour preuve, la plupart de ces innovations ne sont pas aussi spectaculaires que dans la science-fiction traditionnelle.

Enfin, la dernière ligne de divergence entre science-fiction et anticipation se situe au niveau des thèmes abordés. La science-fiction décrit des univers où se déroulent des faits impossibles en l’état actuel des connaissances et de la science. L’anticipation reprend ce premier postulat tout en allant un peu plus en avant. Elle se propose de décrire les ressorts et mécanismes de fonctionnement d’une société à venir. Elle inclut le politique et le social comme données essentielles dans son histoire. On ne peut nier que la science-fiction aborde ces thèmes, mais bien souvent, ces films ont une trame beaucoup plus classique. Ce peut être la lutte face à l’envahisseur dans La guerre des mondes (2005) de Steven Spielberg, les conséquences du voyage dans le temps avec Retour vers le futur (1985) de Robert Zemeckis, ou bien encore la rencontre avec des dinosaures dans Jurassic Park (1985) de Steven Spielberg. L’anticipation nous fait vivre de façon poussée et précise la société mise en place et le pouvoir politique la régissant. Reprenons une nouvelle fois l’exemple de 1984 qui nous décrit presque entièrement les rouages d’une société totalitaire. Le contrôle exercé sur la population au travers de la télésurveillance, la figure de « Big Brother », la séparation stricte entre prolétaires et membre du Parti (Parti intérieur et extérieur) et bien sûr la nouvelle langue créée: « novlangue » ; la description de tous ces éléments complexifie le récit, l’explique et lui donne du relief. L’anticipation propose des sociétés humaines prophétisées, et n’est pas synonyme de science-fiction.

Cependant, il faut ici faire face à une première embûche : puisque ces films nous donnent à voir des sociétés imaginées, il ne faut pas immédiatement croire que l’on va se détacher de la réalité des hommes ou bien même évoluer dans le flou. Comme toute oeuvre artistique, les films d’anticipation ne sont pas une figure du réel mais sa représentation. Le champ que nous allons étudier donne une place prépondérante au genre de la fiction et à la réécriture du réel.

2) Explication du choix des films

Le choix effectué des films à étudier est bien sûr personnel. La volonté d’étudier des oeuvres se rapprochant de la dystopie a guidé ma sélection. Elle est le contraire de l’utopie et propose donc le pire récit imaginaire possible. L’organisation de cette société empêche les membres d’atteindre le bonheur. Il semble intéressant de comprendre les enjeux mis en place dans ces créations. De manière générale, l’ensemble des films choisis repose sur l’anticipation sociale d’un monde qui peut effrayer. Il est question de systèmes politiques, d’idéologies et de combat pour la liberté. Voici la liste des films étudiés par ordre chronologique :

  • La planète des singes, Franklin Schaffner, 1968
  • Soleil vert, Richard Fleischer, 1973
  • Blade Runner, Ridley Scott, 1982
  • 1984, Michael Radford, 1984
  • Bienvenue à Gattaca, Andrew Niccol, 1997
  • V pour vendetta, James McTeigue, 2005

L’ensemble de ces films répond à mes attentes en terme de contenu et d’intérêt social et politique. La démarche de recherche de ces films a été la suivante : j’ai dans un premier temps sélectionné les films que je connaissais déjà et qui entraient dans la catégorie de l’anticipation. Ce sont évidemment ceux que j’ai appréciés et qui m’avaient touchés avant de commencer. J’ai ensuite tenté d’élargir mon champ d’investigation afin de présenter une vue panoramique de ce que pouvait signifier anticiper au cinéma. L’anticipation est bien plus proche de la dystopie que de l’utopie. Ce sont donc des films avec une tendance certes pessimiste mais objective, qui seront traités.

Il faut cependant éclaircir les relations entretenues avec l’utopie. Les films d’anticipation choisis ne se classent pas dans la catégorie de la contre-utopie. Ils n’affrontent pas le rêve que peut créer l’utopie, ils ne se positionnent pas en adversaire. Une autre version du rêve est simplement proposée. Ce n’est pas le contraire de la société idéale de l’utopie, l’anticipation est seulement plus nuancée. Nous ne verrons pas la pire des sociétés, même si elle reste sombre. L’un des critères de sélection réside dans l’apparition d’une lueur d’espoir plus ou moins forte dans chacune des oeuvres. Il m’a semblé opportun d’étudier des films qui intégraient un possible retournement de situation des sociétés. C’est pourquoi les films analysés imaginent des sociétés plus que pessimistes et liberticides. L’intérêt de cet angle d’attaque permet d’envisager et de comprendre ces sociétés complexes selon tous leurs aspects, et en utilisant différents points de vue.

3) Définition de la méthode d’analyse filmique

L’analyse des films se découpera selon trois grandes parties :

  • L’introduction : le générique peut nous donner des informations sur la construction du film et son point de départ. Il est important de voir comment le réalisateur introduit son film et sa narration, ceci peut avoir une importance sur le déroulement du récit, et des informations clés peuvent y être délivrées. La présentation de la situation initiale est à explorer. Puis enfin comment sont présentés les personnages.
  • Le noeud de l’histoire : il s’agira de décrypter les scènes-clés qui font évoluer le film dans un sens ou dans l’autre. L’étude des procédés filmiques soulignera les moyens du réalisateur afin de faire avancer le récit. Les plans s’enchaînent-ils de manière logique ? Il s’agit d’étudier l’insertion d’analepses (procédé rhétorique de flashback) qui peuvent donner des indices de compréhension. Enfin l’étude en elle-même de certains plans sera l’occasion d’apprécier les choix et les objectifs du cinéaste.
  • Le dénouement : la fin d’un film nous donne de nouveaux axes de compréhension sur les intentions du réalisateur. L’intérêt est d’observer les dernières images et la façon de conclure du réalisateur. On se demandera également si la fin est ouverte ou fermée.

Cette analyse générale du déroulement d’un récit pourrait s’appliquer à d’autres genres comme le genre littéraire. Il convient d’étudier les détails plus spécifiques et caractéristiques du film. En tout premier lieu, on peut nommer le jeu des acteurs qui contribue lui aussi à nous renseigner sur les intentions du réalisateur. Un jeu stéréotypé ou empli de sensibilité donne de précieux conseils. Dans quelle mesure l’art de l’interprète se met-il au service de l’anticipation et du récit du film ? L’ensemble des sons, incluant aussi bien les dialogues que la bande sonore et les bruitages, est un autre domaine d’analyse. La bande originale et l’ensemble des sons accompagnant l’action peuvent venir épauler l’image. Ce rendu sonore peut prendre la liberté de créer une réelle atmosphère. Puis, la suite logique de l’étude du son réside dans l’analyse de l’image et de la photographie. Les couleurs et les éclairages nous donnent de nouveaux éléments de compréhension. D’autre part l’étude des plans et de leur enchaînement sera primordial ainsi que la mise en exergue des décors, costumes et détails de cet ordre. Cette catégorie nous permet de voir si le réalisateur souhaite se rattacher au réel, s’en approcher ou le négliger. Enfin le contexte de réalisation et de production sera déterminant pour comprendre les volontés du réalisateur quant à la transmission de sa peur.

Cet ensemble de critères nous permettra d’analyser le cinéma d’anticipation au travers des six films nommés précédemment.

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